LE PUMA

« Une tragédie de l’adolescence magistralement réalisée, tout en subtilité, et racontée avec une grâce remarquable. »
Joyce Carol Oates
« L’un des romans les plus étranges et les plus enragés du XXe siècle. »
Lauren Groff

« Il n’y eut qu’un seul coup de feu de la carabine .22, mais Oncle Claude ne revint pas finir son déjeuner, et quelqu’un dit qu’il était sans doute allé enterrer le chien. Quand le repas fut terminé, Ralph sortit dans la cour et là, à côté de la laiterie, il vit neuf pies qui formaient un cercle autour d’une dixième, morte. Les pies jacassaient à l’unisson, et leurs voix rugueuses pareilles à celles des faucons venaient déchirer le silence de midi. Leurs plumes impeccables, noires comme le charbon et blanches comme la neige, leur donnaient l’allure de pleureuses professionnelles en habit de cérémonie. Ralph s’approcha, mais elles ne s’envolèrent pas ; au lieu de ça, deux d’entre elles se tournèrent vers lui et lui firent face en l’invectivant à grands cris perçants et en sautillant sur place, pleines de colère. Le tapage continua jusqu’à ce qu’un des hommes sorte de la maison et pénètre leur cercle en tapant du pied, puis attrape l’oiseau mort et le jette dans le ruisseau avec dégoût en criant aux autres :
— Fermez-la, espèces de vautours. »

LE TEXTE

Molly et Ralph grandissent dans une famille bourgeoise de la banlieue de Los Angeles. Les enfants sont chétifs et maladroits, et tout les oppose à leur mère et leurs sœurs aînées, toujours à l’aise en société et respectueuses des convenances. Leur grand-père, lui, vit dans un ranch du Missouri et, lors de sa visite annuelle, il leur offre un aperçu de sa vie brute et rustique. Les temps changent, et les deux cadets ont l’occasion de s’initier à cette existence au contact de la nature dans le ranch de leur oncle, au milieu des montagnes du Colorado. Alors que tous deux sortent de l’enfance, bien malgré eux, leurs identités s’affirment. Dans ce monde sauvage et plein de dangers, leurs pensées les plus secrètes trouvent peu à peu un cruel écho.

LE CHOIX

Publié en 1947, Le Puma est resté longtemps caché à la vue des lecteurs. Peu de romans américains explorent pourtant avec autant d’originalité les eaux troubles de la fin de l’enfance. La force de ce joyau sombre aux accents autobiographiques prononcés tient d’abord à la langue de Jean Stafford. Elle semble merveilleusement simple, mais chacune de ses phrases recèle en fait une force singulière qui restitue l’ambiguïté et les douleurs intimes de ses personnages, en évitant tout sentimentalisme. C’est que Stafford a le sens du grotesque, à l’image de son alter ego, la petite Molly. À regarder vivre ces personnages étranges et si convaincants, on devine que l’âge adulte et le grand Ouest, malgré leurs promesses, n’offrent peut-être aucune liberté à laquelle aspirer : ils obligent seulement à lutter avec la nature. Si le constat est impitoyable, le sens de l’image, l’atmosphère et l’art du récit enchantent longtemps après les dernières pages. Des pages majestueuses et dévastatrices, comme l’animal qui donne son nom au roman.

L’AUTRICE

Jean Stafford (1915-1979) était une romancière et nouvelliste américaine. Ses œuvres ont paru entre autres dans The New Yorker. En 1970, elle a remporté le prix Pulitzer de la fiction pour The Collected Stories of Jean Stafford.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Julien Nègre
Paru le 15 septembre 2023
21 €, 208 pages